samedi 15 mars 2008

Le stylo et la feuille

Les membres du groupe IAM pour leurs vingt ans de carrière donnent un concert au pied des pyramides d’Égypte - ça a l’air d’une falaise, de quelque chose de la nature
de je ne sais quoi de terrible qui va vous écraser -, accompagnés de soixante-dix musiciens du cru.
« Donne-moi un son cru, je mordrai dedans à pleines dents. »
Orchestre populaire, orchestre national du
Caire



À maints égards et joliment : le mariage de la carpe et du lapin.
Vagues de sable violettes. C’est un océan violet.
De concert, c’est tout, avec la mer sans marée, j’avale un verre de rhum que je ne tarde pas à vomir et je rentre dans ma cabine où je reste toute la journée sans bouger dans un état de torpeur. La mer qui fait un œil. Avec Marseille aussi d’où, l’envie prenant là d’ajouter au bric-à-brac, chaos de cris et de paquets, sans plus craindre le déconcert (« les pieds dans les étriers, musical destriers »), Flaubert s’embarque le 4 novembre 1849 pour l’Égypte avec deux caisses pesant cent dix kilos et son ami Du Camp.
On colle et s’approprie - « ne rien lâcher, la plume notre arme » -, on coupe, on coupe on découpe on débite on tranche. On morcelle, on charcute.
On sample.
On tâche à maintenir le flow, l’eau salée m’écume au cœur, « hors course, hors norme, sans bornes ».
Au pied des pyramides.
Je me foutais une ventrée de couleurs.
Micros d’argent non loin de l’archiverte prairie, des lopins noirs comme poix, des lopins nets, carrés, cultivés, bois de palmiers. Y voit-on toujours ces roues hydrauliques tournées diversement par des chameaux ou des bœufs ?
Le soleil paraît —il va vite et monte par-dessus les nuages oblongs qui semblent du duvet d’un flou inexprimable.



Quoi faire ici hors agencer pièce à pièce un réel à sa main, « on mendie pas, on pleure pas, on râle pas, on dort pas, on meurt pas, on construit » - des oasis à doums, dattiers peut-être et sycomores...
... « could we bring it to the world? »...
Le sable, les pyramides, le Sphinx, tout gris et noyé dans un grand ton rose ; le ciel est tout bleu ; les aigles tournent en planant lentement autour du faîte des pyramides.
Nos portes à dégonder.
Au pied des pyramides.
« Le sérieux avec lequel nous considérons la littérature serre le cœur. »
Parfois.
Au pied des pyramides et dedans.
Dedans, où Paul
Fournel entraîne un jour Le Clézio, « sa tête blonde qui fore dans le noir ». Dedans comme Flaubert avant eux qui mit Anubis au clou, ayant lu Gautier, pour un jour nous léguer Salammbô : « Il fait sueur. Sueur des efforts et sueur de cette espèce de trouille respectueuse qui vous saisit à l’idée que vous pourriez rester là, piégé pour les siècles [...]. Ce n’est qu’au-dehors sous le ciel bleu, pendant que l’on enfile les pulls dans le vent frais, que nous comprenons que l’attrait de la visite des pyramides tient non pas à ce que l’on peut y voir, mais à cette gamme bien particulière de terreurs fondamentales que l’on y expérimente. »
Chacun, l’abri est sous la brique, façonnant sur un bord ou l’autre de l’eau sa pyramide intime, absconse et subreptice où vont la vie, la nuit, la nuit, la ville : « ... la nuit était tombée subitement, car il n’y a pas de crépuscule en Égypte ; la nuit, ou plutôt un jour bleu succédant à un jour jaune. »
La nuit, le puits du cœur où sont « nos heures de rage, nos heures de poisse, désert de calme, nos heures de crasse, nos heures de classe, nos heures d’amour, nos heures de haine », qu’on pétrit à sa main, la pyramide intérieure où on parle pour son bonnet l’idiome ineffable, olympien, calme, fou de rage sous le masque de bois, derrière les
moustaches de clown de Flaubert.
L'encre coule à flots de minuit à minuit.
Parfois.
De minuit à minuit le flow d'IAM dans ses micros d'argent.
« Le soleil se couche. La verte Égypte au fond ; à gauche, pente de terrain toute blanche ; on dirait de la neige. Les premiers plans sont tout violets ; les cailloux brillent, baignés littéralement dans de la couleur violette, on dirait que c’est une de ces eaux si transparentes qu’on ne les voit pas, et les cailloux entourés de cette lumière glacée sur elle ont l’air métallique et brillent. Un chacal court et fuit à droite — on les entend glapir à l’approche de la nuit.
C’est au soleil couchant qu’il faut voir les pyramides. »

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