mercredi 16 avril 2008

« Sa petite gueule rose en délicate supplique »




Manière, aussi, de saluer au passage miss Carla/Dada.

« Je l’aimais, petite bourgeoise à habitudes et conforts, capitaliste en son fauteuil, mais aussi anarchiste qui détestait obéir quand je lui disais de rester couchée, ange kleptomane, petite tête sérieuse même quand elle folâtrait, usine à ronrons, petite bonne femme joufflue et foufflue, silencieuse damette aux moustaches, paix et douceur devant le feu, soudain si lointaine et digne, légendaire.
[...]
Alors, j’ouvrais le frigidaire et j’en sortais du foie cru, je le découpais avec des ciseaux et tout allait bien de nouveau. Idylle. J’étais pardonné. La queue vibrante d’impatience et de bonheur, elle fabriquait des ronrons premier choix, frottait sa frimousse contre ma jambe pour me faire savoir combien elle m’aimait et me trouvait charmant de découper du foie. Lorsque le foie était prêt dans la soucoupe, j’aimais ne pas le lui donner tout de suite. Je me promenais à travers le hall et le salon avec des méandres, et elle me suivait partout en grande fête, avec une démarche de marquise, cérémonieusement, enfant modèle et grande maîtresse de la cour, habillée soudain de gala, son noble panache frémissant et dressé, me suivait à pas mignons feutrés, si empressée en son menuet charmant, légère de convoitise et d’amitié, les yeux levés vers la sainte soucoupe, si fidèle et dévouée et prête à aller au bout du monde avec moi. Mon cher petit faux bonheur. »
(Albert Cohen, Belle du Seigneur, Folio Gallimard, 1968 pour la première édition, p. 424-427)

1 commentaire:

Gaotian a dit…

Vive les chers petits faux bonheurs.