vendredi 13 juin 2008

Le Momo pour la môme Momont


Car ce sont, par ici, jours d’oreille vraquée, sibilante, encapsulée - et la tournaille -, quelle consolatio pour Bibi ?
Chez Chevillard : rouge ; cassée celle des Arumbayas ; en Arles sectionnée :
« Il n’est pas ordinaire de voir un homme, avec, dans le ventre, le coup de fusil qui le tua, fourrer sur une toile des corbeaux noirs avec au-dessous une espèce de plaine livide, peut-être, vide en tout cas, où la couleur lie-de-vin de la terre s’affronte éperdument avec le jaune sale des blés.
Mais nul autre peintre que Van Gogh n’aura su comme lui trouver, pour peindre ses corbeaux, ce noir de truffes, ce noir “de gueuleton riche” et en même temps comme excrémentiel des ailes des corbeaux surpris par la lueur descendante du soir.
Et de quoi en bas se plaint la terre sous les ailes des corbeaux fastes, fastes pour le seul Van Gogh sans doute et, d’autre part, fastueux augure d’un mal qui, lui, ne le touchera plus ?
Car nul jusque-là n’avait comme lui fait de la terre ce linge sale, tordu de vin et de sang trempé.
Le ciel du tableau est très bas, écrasé,
violacé, comme des bas-côtés de foudre.
La frange ténébreuse insolite du vide montant d’après l’éclair.
Van Gogh a lâché ses corbeaux comme les microbes noirs de sa rate de suicidé à quelques centimètres du haut et comme du bas de la toile,
suivant la balafre noire de la ligne où le battement de leur plumage riche fait peser sur le rebrassement de la tempête terrestre les menaces d’une suffocation d’en-haut.
Et pourtant tout le tableau est riche.
Riche, somptueux et calme le tableau.
Digne accompagnement à la mort de celui qui, durant sa vie, fit tournoyer tant de soleils ivres sur tant de meules en rupture de ban, et qui, désespéré, un coup de fusil dans le ventre, ne sut pas ne pas inonder de sang et de vin un paysage, tremper la terre d’une dernière émulsion, joyeuse à la fois et ténébreuse, d’un goût de vin aigre et de vinaigre taré. »
(Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société, Gallimard, coll. L’Imaginaire, 2001 (1974 pour la première édition), p. 43-44)

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