lundi 23 juin 2008

« sous le lent regard des étoiles paresseuses »


Ses cossards à sa rescousse, saluant Cossery (Albert), esquivé ce dimanche des rues de Seine, de Buci où il créchait à la Louisiane, suite à quatre-vingt-quatorze années ci-bas et huit romans :

« L’enfant chargea sa fronde et, l’haleine suspendue, visa longuement. Puis il tira, la tête rejetée en arrière, la bouche ouverte, tout le visage rayonnant d’une excitation étrange. La pierre partit d’un trait en sifflant, se perdit dans les branches du sycomore. Alors tous les oiseaux s’envolèrent en même temps, avec de petits cris d’effroi. C’était un coup raté.
[...]
Serag avait entendu dire que les hommes travaillaient, mais c’était seulement des histoires qu’on racontait. Il n’arrivait pas à y croire complètement. Lui-même n’avait jamais vu un homme travailler, en dehors de ces métiers futiles et dérisoires qui n’avaient dans son esprit aucun attrait valable. C’était pourtant un désir ancré en lui depuis longtemps, de voir un de ces hommes qui travaillent durement de leurs mains et qui portent les stigmates d’un labeur harassant. Mais il lui était très difficile d’y arriver ; il ne connaissait aucun moyen pratique pour parvenir jusqu’à eux. Depuis le temps qu’il cherchait à travailler, il s’ingéniait vainement à suivre leur trace. À la maison, ses parents le considéraient comme un fou et un maniaque dangereux. Lorsqu’il leur parlait de vouloir travailler, ils avaient tous des mines incrédules, non pas seulement vis-à-vis de sa décision, mais surtout par manque de compétence en la matière.
[...]
Mais est-ce que cet enfant enragé était un enfant travailleur ? Certainement, il n’en avait ni l’allure ni l’apparence. Si tous les hommes qui travaillent se démenaient comme lui, la vie ne serait plus possible. Et rien que pour chasser les oiseaux ! Que serait-ce alors lorsqu’il s’agirait de travailler dans une usine ! Car Serag ne concevait le travail sérieux que dans l’atmosphère prestigieuse des machines en action. Il avait une idée tout à fait romantique du fonctionnement d’une usine, s’émerveillait du caractère grandiose que confère l’immense travail accompli en commun par des milliers d’hommes. [...] Mais le comportement de l’enfant échappait à toute classification ; ses efforts semblaient dépasser les bornes de la résistance humaine. Il obéissait sans doute à d’obscurs desseins, faisait partie d’une sorte d’humanité disparate et déchue, plus tenace dans sa lutte pour sa subsistance. Serag n’avait jamais rien vu de pareil. Toute sa conception du monde se trouvait ébranlée.
[...]
Un gros nuage se disloqua, lâcha le soleil qui montra son disque blafard. Toute la campagne fut baignée d’une lumière humide et froide, qui créa des distances énormes, comme si la terre avait reculé tout à coup ses horizons. Serag frissonna, cligna des yeux ; la lumière du jour l’incommodait, irritait ses nerfs. Il avait remarqué le manège de l’enfant, mais faisait semblant de ne pas le voir, continuait à manger son pain dans l’attitude résignée d’un condamné à mort. À chaque instant, il sentait le sommeil le saisir de son étreinte inexorable. Il se laissa aller en arrière, s’appuya sur les coudes, s’abandonna enfin à la somnolence. Il n’éprouvait plus aucune frayeur ; il voulait simplement dormir. Il ferma les yeux, se cramponna comme un naufragé à la terre molle du talus, et s’endormit. »
(Albert Cossery, Les fainéants dans la vallée fertile, Joëlle Losfeld)

1 commentaire:

Eric Poindron a dit…

LE BATEAU LIVRE COULÉ : LA CULTURE PERD DU TERRAIN

Dernières nouvelles de Frédéric Ferney...

Eric,

Pour info : le communiqué de la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimedia) envoyé tous azimuts (je ne leur avais rien demandé).

Bises,

Fred.

*

Voici comme convenu le communiqué envoyé hier à l'ensemble de la presse généraliste, TV, Radio (littérature, culture, médias).

Bien cordialement,

Cissé Tamoura

*


Ainsi donc, au cœur de la tempête réformatrice qui tente d’engloutir l’audiovisuel public, France télévisions annonce la suppression du Bateau livre , l’émission littéraire de Frédéric Ferney. Après l’avoir programmé le dimanche mati, les dirigeants de France télévision ont beau jeu d’avancer l’argument d’une audience qualifiée de médiocre.
Quand comprendra-t-on que les « quelques » centaines de milliers de téléspectateurs qui font le choix de l’intelligence et de la curiosité , sont la légitimité même de la télévision publique ?

Comme l’avait d’ailleurs souligné le Président de la république dans sa lettre de mission à Christine Albanel : France télévisions doit affirmer son identité de service public à travers une offre culturelle plus dense, plus créative, plus audacieuse ; une offre qui marque une plus grande différence avec les chaînes privées ; une offre fondée sur des programmes populaires de qualité aux heures de grande écoute. »

C’est pourquoi la SCAM, conforté par cette décision du Président de la République, approuve la démarche de Frédéric Ferney l’interpellant. Cette démarche vise, une nouvelle fois, à mettre les responsables politiques devant leurs contradictions au regard des enjeux culturels et à leur demander de respecter leur promesse. Comment d’un côté prôner la défense de la lecture et de l’autre fermer les espaces dédiées à la littérature sur un média de première importance pour sa diffusion

La suppression du Bateau livre est le énième épisode des attaques contre la culture à la télévision et contre la littérature en particulier.

*


N'hésitez pas, à votre tour, à relayer le message et l'information.

Très cordialement

Eric Poindron

Le cabinet de curiosités d'Eric Poindron : http://blog.france3.fr/cabinet-de-curiosites

Eric Poindron


Le Cabinet de curiosités de
Éric Poindron

http://blog.france3.fr/cabinet-de-curiosites