mercredi 17 décembre 2008

« brutalité de la dépose en lambeaux lumineux »


« Cette femme patiente. Elle attend que l’appareil photographique ait lentement fait sa prise. Du fond obscur de sa propre image, dans l’eau vieille et sale du miroir, elle nous regarde, une femme se penche vers le fond de sa propre image, s’offre à la fois au miroir et à l’objectif. Sur de plus anciens tirages argentiques, comme cet autre de la maison Braun conservé aux archives départementales du Haut-Rhin, on distingue, un peu sépia, le reflet brouillé de son visage tendu vers nous dans le détour du miroir. Un jour de, disons 1863, elle est entrée dans le studio du photographe, ils ont patiemment arrangé les détails de cette scène. On ne sait pas combien de temps duraient les séances, certaines étaient longues, dix, quinze prises, des costumes, des accessoires, une vraie répétition, et la pose, contraignante, sans compter le tirage des plaques de verre au collodion qui devait se faire immédiatement après chaque photo, tout est construit, contraint, rien n’échappe. Ces images, celles-ci en particulier, ne parlent que de la longue préparation d’un corps au combat, que de la longue exposition d’un corps à sa propre séduction, à ce combat-là, à cette mort de très longue haleine et minutieusement préparée. Rien de pathétique dans ces images, rien non plus de fulgurant, rien de ce qu’on trouve souvent dans la photographie, l’éloge de l’instantané, l’essor, l’irruption, l’élan, rien de ces gestes héroïques qui persistent dans une photo mais qui ne furent dans la réalité qu’une apocalypse brève : un homme se dresse au sommet d’une colline, frappé de plein fouet, se hissant et s’écroulant à la fois ; une femme se retourne vers l’objectif dans un mouvement de surprise heureuse ; une femme hissée sur une pyramide de corps élève d’un geste immense le drapeau d’une nation ; un condamné à mort regarde l’objectif avec cette insistance calme qui est la marque même du passage, transi qu’il est déjà. Ici, au contraire, tout est immobile, tout est pris dans la durée, dans la persistance de ce corps à s’exposer, à durer dans sa pose, à se figer ainsi dans son reflet, nous regardant la regarder se regardant, cette femme observe, elle est le prédateur, elle est sa proie, elle est le cygne, elle est Léda, elle n’attend que d’être prise, ravie, mais par elle seule. »
(Nathalie Léger, L’exposition, P.O.L., 2008, p. 41-43)

1 commentaire:

Eric Poindron a dit…

Cette fois ça y est la voilà enfin la première bonne nouvelle concernant Ferney, le cabinet hisse les voiles et

Le BATEAU LIBRE, LE BLOG DE FRÉDÉRIC FERNEY,

quitte le port direction "les océans du web"...

http://fredericferney.typepad.fr/

Allez faire un tour le pont et laissez un mot au capitaine pour lui souhaiter des beaux voyages...

Avec mes amitiés voyageuses, justement.

Eric Poindron

Le cabinet d'Eric Poindron
http://blog.france3.fr/cabinet-de-curiosites

P.S. N'hésitez pas à reprendre l'information sur votre blog et à la partager avec vos amis et lecteurs.

P.P.S. D'autres bonnes nouvelles sont à venir à la rentrée.