samedi 19 juillet 2008

« L’existence d’un artiste est tout entière dans son travail »


[l’homme à la clope, quoique sans dossier]

« Écrire : pour moi c’est respirer. Tout ce qu’on peut en dire d’autre est du baratin. »

Manière de saluer sur le fil Robert Pinget (« Le nombre qui m’a poursuivi, à mon corps défendant, je l’ai déjà dit, est le 19 (19 juillet [12 + 7] 1919). Je prie le ciel qu’il me rappelle avant 1999. »).

(« J’ai écrit autrefois un petit livre appelé Fable. Dans un moment de désarroi depuis longtemps surmonté. ») :

« Il ouvrait sa musette au milieu de la nuit, la clarté de la lune ne suffisait pas pour en faire l’inventaire, promenait sur ses lettres le rayon d’une torche électrique et ne dormait plus, le sommeil déserte le malheur.
Mais il sursaute, il a pleuré en rêve et se frotte les yeux, qu’est-ce que cette histoire d’occupant et d’exilé et cette théorie d’archanges à poil, de barbares célestes, de fleurs aux endroits mal venus, qu’est-ce que cette plainte sans cesse de femme ou de vache en chaleur, qui dicte ces lamentations, quel histrion s’est chargé de ma perte et me geint ces litanies de paumé.
Car il ne reconnaissait plus son sommeil, celui d’un autre l’a étouffé, il se promène dans un rêve ennemi plein de traquenards.
Jamais parlé cet idiome.
Images qui reviennent comme l’obsession d’un autre, qu’en faire sinon les apprivoiser mais il avait beau s’ingénier elles gardaient le sceau barbare. C’est alors que Narcisse lui revint en tête et il se penchait au balcon pour le découvrir sur la plage. L’autre y était, tout au bord de l’eau, couché sur le flanc.
Ils sont allés le rejoindre et de loin plaisantaient lui criant des obscénités. Le soleil était de plomb, le sable brûlant. Ils se sont approchés et soudain furent stoppés net par le cri de l’un d’eux, il est mort. Et ils virent les prunelles éteintes et la bouche entrouverte. Les cheveux étaient plaqués sur la nuque, la main droite était crispée sur la cuisse. Ils ont doucement remonté le corps parmi les lys des sables le soulevant sous les aisselles et ont posé sur le visage un linge blanc. L’été avait fait place à l’automne et des brumes s’élevaient de la mer, les collines à l’horizon disparaissaient sous des nuages bas. Le temps de l’exil était revenu et de longs cortèges s’ébranlèrent dans toute la contrée pour converger vers le cadavre et tous faisaient cercle autour de lui comme la troupe de ses frères autour du cygne mort.
Je les vois dit-il à l’inconnu, ils ont des bonnets roses ou bleus et certains sont affublés de longs manteaux, ils portent un sac de paille tressée où ils mettent leurs aliments. Mes yeux s’attachent aux homme dévêtus, ils n’ont que la peau sur les os et leur sexe ballote entre leurs cuisses comme des figues trop mûres. Ils sont beaux comme les morts de l’Orient. Ils viennent rendre témoignage. Et l’inconnu demandait de quoi ils avaient été témoins mais l’autre ne savait plus ou feignait de ne plus savoir, trop de souvenirs l’assaillaient et sa gorge s’étrangle.
Ce passé à dissoudre et le futur itou. »
(Robert Pinget, Fable, Minuit, 1971, p. 53-56)

2 commentaires:

albin, journalier a dit…

"C'était du temps immémorial où l'autre histoire derrière ces bribes."
Robert Pinget (Théo)

Anonyme a dit…

on dira ce qu'on veut mais ça, c'est du blog.